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De Ferguson à la Palestine, les trous dans la banquise

Cet article fait partie d’une tétralogie décrivant l’évolution de la relation Juifs-Noirs aux États-Unis, et son influence sur l’antiracisme sélectif de l’islamo-gauchisme[1]. Cet article est en quatre parties indépendantes, accessibles sur ce site :
De nos 400 ans d’expérience de l’esclavage, nous savons que le sionisme n’est pas du racisme
L’extension des Protocoles de la lutte aux États-Unis (Alexandre Feigenbaum)
De Ferguson à la Palestine, des trous dans la banquise
Comment l’extrême gauche est devenue islamo-compatible

par Alexandre Feigenbaum, président de Dhimmi Watch.

Une blague israélienne caricature la propagande anti-israélienne : une délégation palestinienne est reçue chez les Inuits. Le gouvernement canadien vient d’imposer de nouvelles restrictions sur la pêche pratiquée par les Inuits. Les Arabes palestiniens se déclarent d’emblée solidaire avec les Inuits, qui souffrent de ces restrictions. Les Palestiniens racontent leur propre expérience : les Israéliens ont imposé des restrictions similaires, voire bien pire : « ils nous ont totalement interdit de faire des trous dans la banquise ». Cette information déclenche aussitôt la réprobation des Inuits, qui considèrent les Israéliens comme des ennemis de l’humanité. La délégation palestinienne retourne à Ramallah, mission accomplie.

Voici maintenant un texte publié sur de nombreux sites anti-israéliens dans le monde[2] (peu avant les hostilités de mai 2021). Il cible non pas les Inuits, mais les Afro-américains :

La propagande par effet-miroir

« Ce lundi 19 avril [2021], le jury au procès du meurtre de George Floyd prononcera son jugement. “I can’t breathe”, je ne peux pas respirer, le cri répété de George Floyd est aussi le cri des 1 400 Palestiniens arrêtés, seulement depuis le début de cette année 2021. C’est le cri qui jaillit des prisons israéliennes où sont incarcérés plus de 4 500 prisonniers politiques palestiniens, en isolement total ou entassés dans des cellules surpeuplées.

La première phrase de ce message, en évoquant le meurtre de Floyd, provoque une empathie des Afro-américains pour les Palestiniens, par « effet miroir ».[3] Puis le texte affirme que les Arabes palestiniens subissent une répression similaire, voire bien pire. Ce texte est formulé pour susciter une adhésion des Noirs victimes de violences policières aux États-Unis, avec la cause des Arabes palestiniens.  

Selon l’historienne Sylvie Laurent, une vidéo de 3 minutes parue en 2015 a renforcé la solidarité entre Noirs américains et Arabes palestiniens. Intitulée « When I See Them, I See Us » (Quand je les vois, je nous vois)[4] cette vidéo utilise l’”effet miroir” : elle alterne des images d’Afro-américains célèbres[5] et de victimes anonymes de la répression policière aux États-Unis et de Palestiniens emprisonnés ou tués.[6] A la fin, on ne distingue plus les Afro-américains des Palestiniens. L’identification opérée par cette vidéo ne tient pas si l’on examine les situations réelles : Michael Brown, tué par la police à Ferguson, lui, était désarmé ; il ne lançait pas de roquettes sur la ville de Ferguson, contrairement aux miliciens du Hamas qui ciblaient des civils israéliens avec l’intention de tuer. L’effet « miroir » permet d’amalgamer par l’émotion des situations non comparables d’un point de vue factuel.[7]

Sylvie Laurent résume l’effet miroir, depuis les Black Panthers jusqu’à BLM :

« Des Palestiniens affirment « Black lives matter » (“les vies des Noirs comptent”), et des Noirs américains interprètent l’oppression des Palestiniens comme du racisme…. Ce jeu de miroirs donne naissance à ce que l’historien Alex Lubin a nommé un “imaginaire politique afro-arabe”. Les Black Panthers prennent ainsi très vite contact avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Pour cette dernière, relier la question palestinienne au combat anticolonial, antiraciste et anticapitaliste apparaît opportun et universalise la lutte en ancrant la Palestine dans l’histoire longue de la domination coloniale et du droit à la terre.[8] »

Selon Rabab Abdulhadi,[9] ce combat idéologique remonte à la fin des années 1960 :

« Alors que de nombreux radicaux noirs avaient soutenu le mouvement sioniste en Palestine et la fondation [indépendance] d’Israël en 1948, un changement notable est apparu après la guerre de 1967, lorsque des groupes et des individus noirs radicaux ont commencé à situer la solidarité avec la Palestine dans une optique anti-impérialiste et antiraciste… L’OLP et le Black Panthers Party ont fait des comparaisons entre le capitalisme racial aux États-Unis et en Israël, et ont élaboré des stratégies communes révolutionnaires internationalistes et anti-impérialistes. »

La compétition victimaire

L’un des militants du Black Panther Party, Eldridge Cleaver,[10] exprimait une position radicalement différente de celle que nous venons de voir ci-dessus : « De tous les peuples du monde, les Juifs n’ont pas seulement souffert particulièrement de la persécution raciste, ils ont fait plus que tout autre peuple pour dénoncer et condamner le racisme ». Cleaver avait séjourné en Algérie où, comme Frantz Fanon, il s’était heurté au racisme systémique lié à la charia, qui hiérarchisait les êtres humains.

En 2013, puis en 2016, des Juifs qui soutenaient BLM et participaient aux manifestations, ont été choqués par les positions anti-israéliennes radicales de leaders noirs, avec des slogans comme :

« De Ferguson à la Palestine, l’occupation est un crime ».

En 2016, la plate-forme M4BL (Movement for Black Lives) affirmait que les États-Unis étaient « complices du génocide du peuple palestinien » et comparait Israël à l’Afrique du Sud de l’apartheid. Janae Bonsu, présidente d’une organisation participant à M4BL, expliquait :

« Nous pensons qu’il [le mot génocide] est exact d’un point de vue juridique et d’un point de vue moral … s’il est utilisé en référence au meurtre systémique de Noirs ici aux États-Unis ou au meurtre de Palestiniens ».[11]

Il y aurait donc plusieurs niveaux d’exactitude : selon les faits ou selon d’autres critètes, comme le point de vue juridique…

L’emploi abusif des deux mots – “génocide” et “apartheid” – a créé un tollé dans les organisations antiracistes, notamment l’Union pour le Judaïsme Réformé, qui s’était pleinement engagée pour les droits civiques. Les antiracistes dénoncent la sélectivité suspecte de l’indignation de M4BL :

« Alors que la plate-forme M4BL cite un certain nombre de nations victimes de la politique étrangère coloniale des États-Unis, elle ne condamne qu’un seul gouvernement étranger : Israël. Rien pour les Kurdes en Irak ou les Rohingyas en Birmanie… » (voir note 9).

Alors que les leaders arabes qui refusent de faire une paix avec des Juifs (des « dhimmis »[12]) sont les véritables responsables du malheur palestinien, ce sont les Juifs qui sont accusés de racisme. La situation dénoncée par BASIC en 1975[13] n’a hélas pas évolué.

Est-ce le résultat de cette propagande ciblée ? Des sondages de l’ADL montrent que les Afro-Américains seraient beaucoup plus réceptifs que les Américains blancs aux préjugés anti-juifs.Selon un sondage de l’ADL de 2011 cité sur Wikipédia,[14] le groupe ethnique le plus antisémite en 2011 était celui des Afro-américains (29 %), le double de la moyenne américaine nationale (15 %).

La propagande sur les campus

Le procédé miroir permet d’attribuer tous les maux de la planète à Israël : dans les manifestations, le slogan “apartheid” est passé de l’Afrique du Sud à Israël ; le slogan du colonialisme américain contre la guerre du Vietnam est devenu “colonialisme israélien”. Il n’y a plus d’apartheid en Afrique du Sud ni d’Américains au Vietnam, mais les qualificatifs accablent toujours Israël.

Selon Ziva Dahl, la propagande contre Israël se déchaîne sur les campus depuis les années 1990. Dans plusieurs universités américaines, les étudiants ont découvert un matin des alignements de grands panneaux qui coupaient le campus en deux. Certaines parties du campus, comme l’administration, n’étaient plus accessibles. Ces panneaux avaient été installés pendant la nuit par des organisations anti-israéliennes pour représenter le “mur de l’apartheid israélien”. Les panneaux portaient des slogans et des images “documentant” l’apartheid prétendument subi par les Arabes palestiniens.[15] Dahl raconte comment, dans certaines universités, des professeurs enseignent comment les Israéliens feraient des expériences médicales sur des enfants arabes (voir Article 2).

Des mouvements comme BDS (Boycott Désinvestissements Sanctions contre Israël) et SJP (Students for “Justice” in Palestine) semblent disposer d’importants moyens pour pouvoir monter de telles actions. Un investissement rentable, qui permet « d’importantes victoires de BDS sur les campus », selon la coordinatrice de BDS, Olivia Katbi Smith.[16] Le SJP de l’Université de l’Illinois déclarait sur Facebook que les étudiants pro-israéliens « militent activement pour la suprématie blanche et le racisme ».

Ainsi, des générations de jeunes Américains n’ont entendu parler d’Israël qu’en termes horribles. Le nombre d’incidents antijuifs sur les campus enregistré par l’ADL a augmenté de 90 % sur les campus entre 2016 et 2017.[17] L’enquête ADL de 2017 établit une forte corrélation entre un faible niveau d’éducation des Américains et l’acceptation des stéréotypes anti-juifs. Selon un autre sondage de janvier 2021, 16% des sondés américains étaient d’accord avec l’affirmation selon laquelle le bilan d’Israël en matière de droits de l’homme « est pire que celui de la plupart des autres pays ». Pour 14%, le gouvernement israélien « se comporte parfois aussi mal que les nazis ».[18]

Conclusion

Certaines résistances se sont manifestées, notamment entre députées républicaines et démocrates, qui viennent de former un caucus commun. A l’Université de New Orleans, la jeune activiste Afro-américaine Chloé Valdary a initié une pétition visant à « sensibiliser le public aux violations des droits de l’homme perpétrées par l’Autorité palestinienne contre les Palestiniens et les Israéliens en Cisjordanie ». Valdary expliquait que « les dirigeants de l’Autorité Palestinienne « empochent l’argent [des aides américaines aux Palestiniens] et persécutent en fait leur propre peuple.[19] »

Une riposte cohérente aux excès de BLM vient surtout de l’IBSI[20] (Institute for Black Solidarity with Israel) qui prend des positions très fortes et colle à l’actualité. L’IBSI dénonce le financement du terrorisme palestinien et celui du Hamas : il est en partie dû aux bénéfices de la traite orientale. IBSI appelle à la collaboration avec Israël.


[1] https://www.ibsi-now.org


[1] Article précédent : Une extrême gauche islamo-compatible, 11 juin 2021 https://www.revuedesdeuxmondes.fr/auteur/afeigenbaum/

[2] Luk Vervaet, pour IPN, International Prisoners’ News : “I can’t breathe” est aussi le cri des prisonniers palestiniens, https://charleroi-pourlapalestine.be/index.php/2021/04/17/i-cant-breathe-est-aussi-le-cri-des-prisonniers-palestiniens/

[3] F de Vignemont, L’empathie, des réponses aux questions majeures, Le Journal des psychologues 2011/3 (n° 286), pages 16

[4] When I see them, I see us: https://www.youtube.com/watch?v=F5RY4MjdoXM

[5] Notamment à 28’’ Danny Glover (qui a incarné Mandela à la télévision en 1987) et à 1’, Angela Davis. Celle-ci a fait un livre sur le mouvement : Freedom is a Constant Struggle : Ferguson, Palestine, and the Foundations of a Movement, Haymarket Books, Chicago, 2016. Quant à Noura Erakat, l’universitaire à l’origine de son projet, la couverture de son dernier livre montre une carte de Palestine, du Jourdain à la mer, d’où Israël a disparu ; tout un programme.

[6] Voir la note 20

[7] Les propagandistes arabes ont trouvé un « point de rencontre » : la police de Ferguson et les forces israéliennes auraient… le même fournisseur de gaz lacrymogène.

[8] Sylvie Laurent : Ce que la Palestine m’a appris du racisme aux États-Unis, Le Monde Diplomatique, février 2019, p. 18-19, lu en avril 2021 sur https://agencemediapalestine.fr/blog/2020/05/29/ce-que-la-palestine-ma-appris-du-racisme-aux-etats-unis/

[9] Propos rapportés par CD Bailey, Black-Palestinian solidarity in the Ferguson-Gaza era, The American studies Association, 2015, https://www.jstor.org/stable/43822935?seq=1. Enseignant au College of Ethnic Studies, San Francisco State University

[10] Jewish Telegraphic Agency, 22 janvier 1976, Cleaver Defends Zionism. Israel; Charges Arabs with Being Most Racist People https://www.jta.org/1976/01/22/archive/cleaver-defends-zionism-israel-charges-arabs-with-being-most-racist-people-says-moynihan-is-too-s Des positions similaires sont décrites sur Wikipedia

[11] Emma Green, Why Do Black Activists Care About Palestine? the Atlantic, August 18, 2016

[12] Selon des lois établies dans les deux siècles après la mort de Mohamed, les non-musulmans doivent se convertir ou mourir. Les dhimmis (essentiellement des Chrétiens et des Juifs) peuvent choisir un statut intermédiaire, la dhimmitude, et continuer à pratiquer leur religion, moyennant d’humiliations et oppressions.

[13] Alexandre Feigenbaum, 11 juin 2021 : De nos 400 ans d’expérience de l’esclavage, nous savons que le sionisme n’est pas du racisme (BASIC) https://dhimmi.watch/2021/06/14/de-nos-400-ans-dexperience-de-lesclavage-nous-savons-que-le-sionisme-nest-ps-du-racisme-basic/

[14] Histoire des Juifs aux États-Unis, https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_des_Juifs_aux_États-Unis

[15] Dany Ayalon: know your rights on the campus, https://tbtny.org/community/bds-movement-on-campus. Lorsque des panneaux portent des inscriptions ouvertement racistes, des protestations les obligent à les retirer.

[16] https://www.facebook.com/permalink.php?id=202402216614798&story_fbid=1667980503390288

[17] The 2017 ADL audit of antisemitism https://www.adl.org/resources/reports/2017-audit-of-anti-semitic-incidents

[18] Antisemitic Attitudes in the U.S.: A Guide to ADL’s Latest Poll; ADL, 20 January 2021: https://www.adl.org/survey-of-american-attitudes-toward-jews#policy-recommendations

[19] https://www.jns.org/where-bds-loses-unique-steps-in-support-of-israel-on-campus/

[20] https://www.ibsi-now.org

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