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Juifs de Tunisie : le départ (Josiane Sberro)

Avr 19, 2022

Juifs de Tunisie : le départ (Josiane Sberro)

Voici le texte d’une conférence de Josiane Sberro pour Dhimmi Watch, le 22 mars 2022. Elle raconte comment les Juifs ont été mis à la porte des pays arabes. En Tunisie, il y a eu peu de violences, mais une accumulation de discriminations qui ont fait progressivement des citoyens de seconde zone, puis les ont exclus de la vie économique, puis du pays.

Au milieu du XXème siècle, 1 million de Juifs ont dû fuir tous les pays arabo-musulmans. Aujourd’hui, il n’y a plus de Juifs dans ces pays, alors que pour beaucoup, ils vivaient là en autochtones, bien avant l’arrivée des Arabes. Comment cela a-t-il pu se produire ? Dhimmi Watch a trouvé essentiel de recueillir ce témoignage à un moment où, en Europe, certains “historiens” revisitent la relation entre Juifs et Musulmans dans les pays arabo-musulmans et font passer sous silence les pressions, les discriminations exercées sur les Juifs par les autorités de ces pays. Aujourd’hui encore dans le monde, plus de 100 millions de Chrétiens, subissent des persécutions majeures par des islamistes qui les considèrent comme des “dhimmis”.

Bonsoir. C’est au titre de simple témoin que je suis, ce soir, l’invitée de l’association Dhimmi Watch.

Je ne me situerai donc pas en historienne, je décrirai simplement le parcours sinueux, qui a mené nombre d’entre nous, juifs de Tunisie à quitter un pays qui nous tenait à cœur depuis l’antiquité.

Les juifs du Maghreb sont souvent présentés comme une entité uniforme ce qui est une grave erreur géographique géopolitique sociologique ! le Maroc tourné vers l’Atlantique et l’Espagne. Les juifs du Maroc ont un Roi et une société stable et organisée, une véritable identité ! Ceux d’Algérie naturalisés par Crémieux se sont fondus dans la nation française. Tunisie, visage ouvert vers le large, la grande Méditerranée jusque vers le Proche Orient. De Carthage à l’invasion arabo musulmane, terre d’échanges d’émigrations permanentes de mélange de cultures, de langues, de peuples. Protégés français les Juifs de Tunisie ont vécu dans cette large ouverture identitaire a l’autre

Nous prendrons pour « cas repère » de ces événements, un Tunisien juif soussien au destin particulier : Raoul Sberro !

Enfant de Sousse, Raoul Sberro a connu la guerre et quatre années d’interdiction de scolarité de 9 à 13 ans parce que Juif. La Tunisie – on l’oublie souvent-, a connu l’occupation nazie, et ses terribles violences. Marqué par cette injustice, son intérêt pour la jeunesse et ses droits fondamentaux ont définitivement guidé son action. Directeur d’école quinze années durant, après un cursus de formation à l’Ecole Normale française, il s’est vu rejeté de ce statut dès l’indépendance tunisienne, car Juif tunisien. Directeur d’école tunisien en centre-ville, il est éloigné, renvoyé tout au Sud du pays par mesure restrictive du gouvernement pour occupations « culturelles nuisibles ». Sa faute : avoir offert à des étudiants juifs, le droit de vivre librement une vie culturelle assumée.

Le Contexte :

Cette réflexion se situe à partir du changement de statut de la Tunisie.

Une partie importante des 150 000 membres de la communauté juive de Tunisie sont des juifs autochtones de nationalité tunisienne sous protectorat français depuis 1880. La gestion de la Tunisie sous Protectorat est originale : la France accorde aux dirigeants religieux des communautés juives et musulmanes la totale gestion du statut personnel (mariages et divorces religieux et règlements de petits conflits). Sous le protectorat, les communautés juives et musulmanes étaient donc totalement gérées pour le statut personnel par leurs seules autorités religieuses.

En 1954 la Tunisie accède à l’autonomie interne, des questions se posent mais l’avenir est encore en Tunisie.

Constitution et Lois nouvelles

20 mars 1956 : la Tunisie devient indépendante. Habib Bourguiba homme politique moderne, cultivé, ouvert, inspire confiance. Il met fin à la monarchie, proclame la République et en devient le premier président. La nouvelle Constitution précise que : « La Tunisie est une République dont l’ISLAM est la religion et l’ARABE la langue ». Les juifs tunisiens se retrouvent ipso facto marginalisés mais non éliminés !

1957 : Le tribunal Rabbinique perd ses prérogatives. Les affaires du statut personnel seront désormais organisées et jugées par l’administration tunisienne (mariage civil obligatoire, et divorces devant les tribunaux). La république tunisienne se modernise.

1958 : Les conseils de communautés sont dissous et leur pouvoir limité aux affaires de religion ou de bienfaisance.

Une nouvelle identité nationale tunisienne est en gestation. L’Inquiétude sur ce que sera demain, est dans toutes les pensées sur toutes les langues entre Juifs, mais silence ! Tout reste dans le secret des familles. Le départ est déjà rendu difficile car pour protéger une monnaie nouvelle on ne peut sortir du pays qu’avec 1 dinar autrement dit RIEN.

Dans ce contexte de reconstruction nationale les problèmes de fond apparaissent au jour le jour.

Les Problèmes :

Au départ de la France, la Tunisie est totalement dépourvue de fonctionnaires formés, en langue arabe de surcroit. Pour sa politique d’arabisation, la Tunisie a besoin de fonctionnaires formés en langue arabe. Or nombre de ces postes sont occupés sous protectorat français par des Juifs diplômés et compétents : policiers, avocats médecins et près de 25 000 enseignants !

Les Juifs sont maintenus en place, -ce qui sécurise et rassure fortement la communauté juive-, qui y voit une volonté de possible intégration à la jeune nation. Ils sont en réalité en place, uniquement pour le temps de former les nouvelles compétences parmi les Musulmans.

Les remplacements de Juifs par des Musulmans se font à la volée. Tel commissaire de police juif doit laisser sa place à « un collègue qui peut parler a langue du pays » (comme si les Juifs ne connaissaient pas l’arabe !) ; tel médecin apprend un matin qu’il n’est plus chef de clinique au profit d’un jeune collègue musulman.

C’est l’ineffable Docteur André Nahum de Sarcelles, irremplaçable conteur des Juifs de Tunisie qui le relate le mieux : « du jour au lendemain j’ai appris que mon poste à la clinique n’était pas reconduit ; en fait en Tunisie, on nous a passé de la vaseline, et nous avons glissé vers le départ. »

Les licences de commerce et d’importation sont accordées aux Juifs avec parcimonie et à condition d’avoir intégré à l’entreprise un associé musulman.

Les Juifs tunisiens glissent de plus en plus vers un statut inférieur, mais l’honneur est sauf, ils sont apparemment citoyens de plein droit. Nous avons même eu un ministre, oncle de notre ami Claude Baruch (za’l). Ce fut bref mais il le fut. De 1956 à 1961 Bourguiba Président inspiré et moderne, installe une apparente possibilité de vie intercommunautaire.

Les enseignants juifs tunisiens bien qu’issus de l’École Normale Française, sont “sortis” des listes de l’Éducation Nationale française et remis en bloc à l’Éducation Nationale tunisienne.

Un décret de Bourguiba va activer leur déracinement : tout jeune tunisien passant son Certificat d’Étude français (!!) sera exempté des 3 ans de service militaire ! La course au Certif s’installe.

Ces jeunes Tunisiens musulmans (les plus démunis), à peine formés, remplacent peu a peu des enseignants juifs diplômés. Ce sont les nouveaux « remplaçants » du système éducatif nouvelle république.

En ville, la MUCF (Mission Universitaire et Culturelle Française) continue, pour les plus favorisés (juifs et musulmans) à diffuser un enseignement français de qualité vers le baccalauréat.

C’est là que nos retrouvons notre cas repère Raoul Sberro : On l’a envoyé loin et on ne peut faire plus loin. Raoul Sberro, je l’apprends très vite, est envoyé au diable à 500 km de là, dans un village des plus pauvres et isolé de Djerba. Nous sommes en 1960, il n’y a pas de téléphone, ni d’eau, ni d’électricité. Des élèves d’une pauvreté extrême viennent nu pieds de 6 km à la ronde pour boire “la goutte de lait” du matin des ONG humanitaires. Le village juif de Houmt Souk est à plus de 20 km.

Ce village, c’est Beni Maaguel, surnommé par dérision par son prisonnier “bénie ma gueule” où j’ai fini par aller à la rencontre de celui qui est devenu mon inséparable mari. A mon étonnement, il a fait de cette école de misère un lieu d’enfance, de bonheur, d’égalité. Expérience inoubliable pour moi, comme pour ces jeunes Musulmans abandonnés jusque-là.

– Les lois sont de plus en plus destructives : pour empêcher la fuite des enseignants juifs il leur est fait interdiction de quitter le territoire sans une autorisation du Ministère.

– Pour les non-fonctionnaires, l’autorisation de départ à l’étranger est soumise à l’horrible tradition du “Quitus,évalué à la tête du client à leur départ, même pour un court séjour. La vente de biens juifs à prix bradé est désormais un sport. Tout se vend !

Voilà en quelques mots comment le tissu social des juifs de Tunisie antique, stable, organisé, actif, inventif, s’est trouvé déstabilisé puis décomposé peu à peu. Après leur bac les jeunes juifs filent en France pour des études supérieures.

La rupture :

Mi juillet 1961, la “crise de Bizerte”. La Tunisie veut récupérer cette base –essentielle pour la France- avant l’expiration du bail accordé. De Gaulle refuse.

Le conflit éclate, violent, sans rémission. Des rumeurs laissent entendre  que les “Juifs seraient favorables aux soldats français”. En réaction : tous les Juifs de 18 à 60 ans sont “réquisitionnés pour leur protection”. Ils sont internés dans un centre de formation au nord. Jeune mariée de 3 jours, j’ai revu mon mari deux mois plus tard.

Pour notre couple les choses évolueront de manière accélérée dès la découverte de mon long séjour en Israël par les autorités. Un médecin musulman, ami, comme nous en avions tant, haut placé dans l’administration nouvelle, nous contacte un matin dans l’urgence extrême : il a vu passer un dossier d’arrestation pour moi à cause des mes quatre années de vie au Kibboutz. Grâce a un dossier médical de sa composition concernant des soins urgents pour notre nouveau-né et appuyant notre demande au Ministère de l’Éducation, nous pouvons partir le jour-même, en ne prenant aucun bagage.

A ce moment, c’est fini pour les Juifs. Le départ se fait à n’importe quel prix, dans le désordre, l’abandon des biens et des liens. Arrivée en France sans la moindre protection, ni aide, ni reconnaissance. Les retraites d’enseignants sont effacées et les droits de réfugiés inconnus. Les Juifs tunisiens ont vécu un abandon total absolu.

Le nettoyage ethnique en Tunisie s’est fait sur un mode totalement individualisé. Chacun d’entre nous est parti “de son propre gré obligatoire”. Le pouvoir les a poussés vers la sortie par des discriminations, des tracasseries et une limitation des droits, des postes interdits, et des emprisonnements arbitraires. Or une inscription au casier judiciaire interdisait définitivement tout départ vers la France. Il n’y a pas eu de violences, en dehors de l’émeute de 1967 ! En 1980 il restait en Tunisie 2 000 Juifs dont 1 300 à Djerba.

Les accords d’Abraham ouvriraient ils une porte de rencontres et retrouvailles ?

Josiane Sberro,
Palmes académiques, Chevalier de l’Ordre du Mérite, Ancienne Chef d’établissement à l’Education Nationale, Vice présidente d’Amitié France Israël Général Koenig, Présidente des amitiés judéo chrétiennes Vallée de Montmorency, Vice présidente fondatrice du Festival d’Art Sacré du Couserans Festival « Al Andalus ».