Salman Rushdie est également victime de ”l’islamo-complaisance” (R Fregosi)
En avant-première, nous publions ici des extraits du chapitre de Renée Fregosi, philosophe et politologue, dans l’ouvrage ‘Penser Salman Rushdie‘, Coordonné par Daniel Salvatore Schiffer, qui paraît aux Éditions de l’Aube le 10 novembre 2022.
1. L’ennemi emblématique désigné de l’islamisme
En 1989, l’injonction faite aux « vrais croyants » de tuer Salman Rushdie et tous ses complices illustrait on ne peut plus clairement ce qu’il en était de l’offensive néo-islamiste mondiale. Depuis 1979, les signes de la montée de l’intégrisme musulman s’étaient multipliés mais c’était surtout les attentats terroristes (dont les commanditaires n’étaient pas toujours bien identifiés) qui frappaient les esprits et les démocraties ne semblaient pas comprendre le phénomène polymorphe global, en cours de développement. Alors que cette même année 1989 était marquée en France par l’affaire des collégiennes voilées de Creil, dite de façon euphémistique « affaire du foulard », les réactions pour s’opposer à ce qu’on appelait à l’époque « la monté de l’intégrisme musulman », faisaient dramatiquement défaut, et les soutiens à Salman Rushdie ont été fort peu nombreux.
Aujourd’hui, l’offensive islamiste djihadiste « salafo-frériste » ne peut plus faire de doute. Et l’agression assassine contre Salman Rushdie qui répond tardivement au premier appel islamiste à tuer les « impies » hors des « terres d’islam », s’inscrit désormais dans une longue litanie d’attentats et d’assassinats perpétrés pour ce motif à travers le monde au nom « d’Allah le très grand ».
Le second objectif de l’offensive islamiste consiste ainsi dans une islamisation de l’Europe et tout particulièrement de la France, ancienne puissance coloniale et terre d’une immigration musulmane importante.

2. Les idiots utiles de l’islamisme
Depuis l’attentat spectaculaire d’Al Qaïda sur les Tours jumelles en 2001, alors que le djihad se manifestait à la face du monde dans toute sa portée, une certaine gauche s’est fait clairement l’idiote utile de l’islamisme : poursuivant son soutien aveugle de longue date à « la cause palestinienne », la gauche de la gauche politique et intellectuelle défend systématiquement les revendications de l’islam politique sans se soucier de leur caractère anti-démocratique, antirépublicain, sexiste et antisémite, ni même de leur violence terroriste.
3. La langue de l’islamisme et la dhimmitude
L’utilisation de l’expression « ouvrage controversé » employée par l’Agence France presse[1] [au sujet du livre de Salman Rushdie] et reprise sans broncher par nombre de médias et de responsables politiques français, est tout à fait symptomatique d’une islamo-complaisance que l’on pourrait assimiler à de la soumission de Dhimmis. Pour ne pas courroucer les islamistes, il conviendrait de faire montre d’une certaine réprobation à toute remise en cause de la religion musulmane, aussi poétique, métaphorique ou même supposée, soit-elle. Car les Occidentaux vivent désormais eux aussi sous la menace et dans la peur des représailles djihadistes. Mais s’ils croient pouvoir les éviter par la manifestation systématique d’une complaisance à l’égard de l’intégrisme islamiste, c’est ne rien avoir compris à la logique conquérante de ce mouvement politico-religieux : quoi que l’on fasse pour les contenter, les combattant de « la vraie foi » tentent d’avancer et d’imposer leur domination sur les esprits et les corps de tous.
Car, l’idéologie islamiste s’immisce de multiples façons et conditionne aussi les individus à leur insu. Comme la « langue du IIIème Reich[2] », le vocabulaire de l’islamisme se diffuse en population générale. Rapportant les propos de Ramin Parham, un ancien militant iranien d’extrême gauche un temps fasciné par la révolution khomeyniste puis réfugié en France, Michaël Prazan note que la condamnation à mort de Salman Rushdie a « fait entrer le mot de « fatwa » dans le vocabulaire et les dictionnaires » et constitue un « prodigieux moyen de communiquer à moindre frais ». « Cette fatwa est diffusée par les médias, la technologie et la culture occidentales, propageant la terreur incarnée par l’Iran : terreur depuis lors intériorisée, et qui va se sédimenter petit à petit, jusque dans les recoins de tous les comités éditoriaux du monde occidental. Á partir de là, chaque journal se posera la question des conséquences avant d’écrire quoi que ce soit qui touche à l’islam et à ses lois[3] ». On touche là un point essentiel de la dhimmitude : la transformation d’une imposition en servitude volontaire.
La dhimmitude est ce statut subalterne de populations sous domination musulmane, opprimées en raison de leur sexe ou de leur non appartenance à « la communauté des croyants » c’est-à-dire les musulmans. Les femmes, considérées comme inférieures et impures de par la volonté divine, sont soumisses aux hommes et leur doivent obéissance sous peine de châtiments allant jusqu’à la peine de mort par lapidation. Les Juifs et les Chrétiens vivant en « terre d’islam » n’y sont tolérés que s’ils acceptent leur condition humiliante et les taxes qui y sont afférentes, et encore sont-ils toujours sous la menace de mauvais traitements sporadiques ou d’expulsion brutales sans autre motif que l’humeur des musulmans. L’imposition de la dhimmitude n’est pas une réaction à une quelconque agression mais une injonction de l’islam conquérant et son système est à nouveau d’actualité dans l’offensive néo-islamiste mondiale.
Alors, reculer sur les principes laïques qui fondent la République française comme sur les mœurs sécularisées adoptées en général par toutes les sociétés occidentales (individus libérés de l’emprise religieuse dans ses choix de vie), ne constitue pas un modus vivendi « raisonnablement accommodant » avec l’islam. Il est tout à fait illusoire et donc déraisonnable de croire que l’intégration des interdits de l’islam rigoriste dans nos sociétés et a fortiori dans notre droit, favoriserait une modération de l’islamisme : tout au contraire, interprété comme un signe de faiblesse, les islamistes poussent plus avant leurs exigences et accroissent leur influence. Non seulement il ne convient pas de jouer au plus fin avec l’islamisme mais encore faut-il en déjouer vaillamment tous les pièges.
La banalisation du voilement des femmes est certes emblématique des progrès de l’islamisme dans les pays dits « musulmans » comme en Occident. Mais c’est sans doute la partie la plus visible de l’offensive, le chiffon rouge en quelque sorte, que les islamistes agitent pour dissimuler l’ampleur de leur offensive tous azimuts. La pression pour faire condamner le blasphème dans les droits positifs des différents États prétendument laïques ou non, comme l’exige la Charia, est un autre but essentiel des islamistes. Ils sont parvenus à leur fin dans les pays dits musulmans même lorsqu’ils s’affichent laïques ; ainsi en est-il de l’Autorité palestinienne de l’OLP lorsqu’elle emprisonne et torture le jeune Waleed Al-Husseini accusé d’être un blasphémateur[4], ou en Égypte du général al Sissi qui persécutent les jeunes, les démocrates et les Chrétiens pour blasphèmes[5].
Certains pays anglosaxons qui ont conservé dans leurs droits le délit de blasphème, tombé cependant en désuétude, se retrouvent aujourd’hui fragilisés face aux pressions islamistes pour faire condamner toute expression qu’ils jugent attentatoire à l’islam ou à son prophète Mahomet. Cette tradition anglosaxonne a sans doute joué également en défaveur de Salman Rushdie. Mais en France, où le supplice du Chevalier de la Barre en 1766 avait fortement marqué les défenseurs des Lumières, l’abolition de crime de blasphème a été un des enjeux de la Révolution de 1789 et depuis lors un marqueur de la République. Il est donc d’autant plus choquant d’y constater la faiblesse du camp des soutiens de Salman Rushdie accusé de blasphème par les assassins islamistes.
Contre le totalitarisme du troisième type qu’est l’islamisme, la mobilisation se doit d’être générale, et massif doit être le soutien à toutes les cibles des djihadistes comme l’est Salman Rushdie. La gauche laïque et démocratique doit sortir de sa réserve et ne plus redouter d’être assimilée à certains anti-islamistes qui ne seraient pas fréquentables à cause de leur appartenance politique ou de leur supposé tropisme anti-Arabes ou antimusulmans. Salman Rushdie est un symbole de la résistance à l’islamisme et de la lutte contre la dhimmitude. Il doit être défendu en tant que tel sans pusillanimité, sans euphémisme ni « controverse », que l’on apprécie ou pas son style littéraire !
[1] « Agression contre Salman Rushdie : une controverse bien française », L’Observatoire du journalisme, 22 août 2022 : https://www.ojim.fr/agression-contre-salman-rushdie-une-controverse-bien-francaise/?cn-reloaded=1
[2] Victor Klemperer, Lti, la langue du IIIème Reich, Ed. Albin Michel, Paris 1996
[3] Michaël Prazan, Une histoire du terrorisme (p.349) Ed. Flammarion, Paris 2012
[4] Waleed Al-Husseini, Blasphémateur, Ed. Grasset, Paris 2015
[5] Voir par exemple « Égypte/blasphème : un Copte condamné », Le Figaro, 19 septembre 2012 : https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/09/18/97001-20120918FILWWW00543-egypteblaspheme-un-copte-condamne.php ; ou « Égypte: HRW dénonce la condamnation d’adolescents pour «outrage à l’islam» », RFI 14 mars 2016 : https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20160314-egypte-hrw-denonce-condamnation-adolescents-outrage-islam