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L’influence islamique en Occident (1) : facteurs œcuméniques et politiques (Bat Ye’or)

Cet article est un extrait de la conférence de Bat Ye’or au Bible College, Londres, 12/5/2003, intitulée : L’influence islamique en Occident : passé, présent et futur

Discuter des relations des trois religions monothéistes n’est pas une tâche aisée puisqu’elle couvre trois continents et treize siècles. On retrouve ainsi des situations évolutives déterminées par les contingences, l’opportunisme politique, les guerres. La seule façon de découvrir une cohérence dans les multiples facettes de l’histoire, c’est de s’appuyer sur la religion et la juridiction qui sont les structures de toute collectivité humaine.

“Dhimmitude”, un mot nouveau pour décrire un nouveau domaine d’étude

Et il est vrai que si nous voulons progresser dans ce domaine, nous avons besoin de concepts clairs pour nous aider à penser avec précision. Si nécessaire, on peut inventer des mots pour exprimer un concept complexe, qui émerge d’une combinaison de facteurs. De tels mots créés par le développement de nouvelles disciplines abondent dans les langues modernes. Par exemple, le mot “sociologie” n’existait pas avant sa création par Auguste Compte et son étude par Émile Durkheim au milieu du XIXe siècle. De même, le mot “ordinateur” est d’invention récente.

J’ai utilisé le mot “dhimmitude” pour décrire un type spécifique de société composée de Juifs, de Chrétiens et de Musulmans. Le mot dhimmitude représente une situation complexe qui englobe des éléments, des facteurs et des interactions multiples dans leur ensemble. Ainsi, lorsque nous parlons de dhimmitude nous n’avons pas à énumérer et expliquer tous ces éléments, il y a des contenus dans le mot, comme les mots ordinateur ou sociologie, qui contiennent des représentations complexes.

La dhimmitude est le résultat du jihad. Le jihad est une idéologie qui ordonne les relations des musulmans avec les non-musulmans conformément aux principes de l’islam.

Parlons des Juifs et des Chrétiens dans la dhimmitude : ces relations ont été établies suite à la conquête islamique des terres chrétiennes ou des terres étrangères et l’assujettissement et la domination de la population indigène non musulmane selon la charia.

La soumission par l’œcuménisme

La précision du discours n’est malheureusement pas la voie qui fut empruntée depuis les années 1960, lorsque le christianisme, les catholiques et les Églises réformées firent leur aggiornamento, c’est-à-dire la modernisation de leurs relations avec les autres religions. Cet aggiornamento est né de sentiments louables, d’un désir d’ouverture vers les autres. Alors que l’aggiornamento envers l’islam ne provoquait aucun ressentiment chez les Juifs, le rapprochement avec les Juifs a suscité chez les musulmans une incroyable hostilité.

Des menaces et des représailles contre les Chrétiens d’Orient furent proférées par les pays arabes.

Les Églises orientales arabes, agitées par de forts courants antisémites, parvinrent à imposer dans les débats une parité entre islam et judaïsme – par rapport au christianisme[1] au détriment du judaïsme, afin d’apaiser la jalousie musulmane.[2]

Dès lors, l’examen de la relation réelle entre Chrétiens et musulmans était biaisé par ce type de parité artificielle, car la religion et la civilisation juives ne sont pas similaires à celles de l’islam.

A cela, d’autres facteurs politiques s’ajoutèrent. Après les horreurs des deux guerres mondiales, il s’avéra nécessaire d’établir une humanité harmonieuse et la paix entre les religions. Ainsi, le dialogue interreligieux se concentrerait sur les éléments communs plutôt que d’examiner les points conflictuels. Bien que les intentions aient été louables et généreuses, les résultats s’avérèrent catastrophiques. Parce que toutes les dissensions furent glissées sous le tapis, de fausses hypothèses aboutirent à des raisonnements spécieux, incomplets et déformés.

Intéressons-nous d’abord à ces particularismes pour éclairer l’histoire passée et la pérennité de certaines de ses tendances aujourd’hui. Ces différences déterminent l’approche et la compréhension différentes du sacré, du saint, du divin.

  1. Dans le dialogue interreligieux œcuménique, on considère que nous avons tous le même Dieu et le même Abraham.

L’Islam affirme que le Coran est incréé, il est la parole de Dieu récitée textuellement par un seul homme, il est complété par les hadiths, paroles et actes de Muhammad qui sont normatifs, et établissent ainsi la base d’une juridiction religieuse.

La Bible fut écrite tout au long d’un millénaire, elle est composée de différents livres, histoire, lois, poèmes, récits, proverbes, sagesses, chants, textes prophétiques, considérés comme inspirés de Dieu. Ils ne sont pas mot pour mot la parole incréée de Dieu.

Comme nous le savons, la Bible ne mentionne pas les musulmans. Ainsi, pour les juifs et les Chrétiens, il n’y a aucun type de comportement obligatoire qu’ils doivent adopter envers les musulmans, ils peuvent s’adapter aux circonstances.

Mais d’autre part, le Coran et les hadiths mentionnent très souvent les Juifs et les Chrétiens, et en des termes très négatifs. En outre, ils prescrivent aux musulmans des règles de comportement avec les Juifs et les Chrétiens. Il est donc difficile pour le fidèle musulman d’être libre dans ses relations, il doit respecter ces règles.

Le Coran dit qu’Allah est Dieu.

S’ils étaient interrogés, la plupart des Européens diraient que oui, c’est vrai.

Mais si le Dieu du Coran était le même que celui des Juifs et des Chrétiens, maudirait-il les Juifs et les Chrétiens ? Les condamnerait-il au feu éternel, à de terribles souffrances, s’ils ne suivent pas la règle de Mohammed ?

Selon le Coran, tous les enfants naissent musulmans, alors serions-nous tous des apostats ?

Sommes-nous de la foi d’Abraham ? Mais de quel Abraham ? Car il y a deux Abraham, le coranique, un prophète musulman qui a prêché l’islam, et le biblique, qui a une histoire différente. [Note de DW: cette idée a été aussi affirmée par le philosophe Rémi Brague (Le Figaro, 8 février 2023)]

Selon le Coran, les prophètes hébreux et les personnages bibliques sont musulmans, Jésus est musulman. Il y a deux Jésus, le Jésus musulman et le Jésus hébreu !

Dans l’islam, l’histoire biblique est une histoire musulmane. Le vrai christianisme est l’islam. L’islam est la première, la seule religion véridique, englobant le judaïsme et le christianisme. Mohammad est le prophète universel.

Ces concepts de base de la théologie musulmane et sa perception des Juifs et des Chrétiens nous amènent à prendre en compte la conduite réelle envers les non-musulmans imposée par la loi religieuse musulmane. Ces relations sont déterminées par l’idéologie et les règles du jihad.

Ce bref résumé des relations de l’islam avec les Juifs et les Chrétiens est largement méconnu.

Nombreux sont ceux qui croient que nous sommes tous de la même foi abrahamique, que le jihad était une guerre de libération et que la dhimmitude était une période de coexistence fantastique, merveilleuse.

En acceptant cette vision de l’islam, nous avons une perception musulmane de l’histoire. Aurions-nous traversé un processus d’islamisation sans en être conscient ? Sommes-nous devenus musulmans ?

A la recherche d’un œcuménisme, d’une grande fraternité humaine, Chrétiens et Juifs se seraient-ils laissés entraîner consciemment dans des croyances contraires, voire hostiles à leur foi et leur identité ? Cela joue-t-il un rôle dans l’affaiblissement de l’audience du christianisme aujourd’hui ?

Cela paraît invraisemblable mais c’est ce qui arriva pourtant aux peuples qui s’islamisèrent au cours de l’histoire, ou à des chefs religieux ou politiques qui s’aventurèrent sur la voie des compromissions et des tabous espérant construire la paix.

Est-ce là la politique choisie par l’Union européenne après la guerre du pétrole en octobre 1973 ?

La soumission par la voie politique

Comment l’Europe en est-elle arrivée là ? Le début de ce processus peut être daté de la fin des années 1960-70. Le choc pétrolier de 1973 révéla la faiblesse de l’Europe et la position de force internationale de la Ligue arabe.

Né de l’embargo pétrolier, le dialogue euro-arabe (DEA) fut créé dès le début comme un troc : reconnaissance d’Arafat contre pétrole. Le 31 juillet 1974, se tint à Paris la première rencontre officielle au niveau ministériel pour discuter de l’organisation du DEA. Cette réunion rassembla le Ministre des Affaires étrangères du Koweït, le Secrétaire Général de la Ligue arabe, le Président de la Commission des Communautés européennes et le Président de la Communauté.

L’Association Parlementaire pour la Coopération Euro-Arabe fut fondée en 1974 par les neuf pays de la Communauté Européenne en vue de renforcer la coopération politique, culturelle et économique entre l’Europe et le monde arabe.

La Ligue arabe avait deux objectifs majeurs : (i) diffuser l’enseignement islamique en Europe et (ii) entraîner l’UE dans sa guerre d’éradication d’Israël, par son soutien à Arafat. Cette stratégie, tout à la fois politique et économique, visait surtout à souder la réconciliation islamo-chrétienne par la guerre commune contre Israël. Pour beaucoup d’Européens qui tentèrent de s’y opposer, elle restaurait l’alliance euro-nazie et islamo-nazie des décennies 1930-40.

Les objectifs de l’UE étaient (i) un accès permanent au pétrole et aux ressources naturelles dans les pays musulmans et (ii) le renforcement des échanges économiques avec les pays arabes et (iii) l’absence de terrorisme sur le territoire de l’UE, en échange du soutien à Arafat, de la réconciliation islamo-chrétienne.

Ainsi, l’Europe s’est en quelque sorte retrouvée dans la position des dhimmis, demandant la protection des califes en échange du droit de vivre en sécurité et dans de bonnes conditions économiques.

Le concept de dhimmitude, inspiré des lois du Moyen Âge, s’est ainsi mondialisé et modernisé.

En France, la diffusion de ces idées a été facilitée par l’hostilité envers l’Amérique et envers Israël. Ces politiques rassemblèrent des tendances communistes et gauchistes. Mais aussi des anciens adhérents du régime pronazi de Vichy s’épanouirent dans l’antisionisme des décennies d’après-guerre, et servirent dans l’administration française jusqu’aux plus hauts niveaux. Cette situation ne fut pas l’exclusivité de la France. Les collaborateurs des nazis dans tous les pays occupés par le IIIe Reich occupèrent des positions-clés en Europe et dans les organisations onusiennes.

L’illustration de cet article est un buste de Maïmonide, philosophe et théologien juif (1138-1204) qui influença des penseurs musulmans et chrétiens (Thomas d’Aquin). Oeuvre de Abraham Pstrzega (Janvier 1945), Photo de Yaakov Rosner, Jewish National Fund photo archive, Jerusalem, https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Bust_of_Maimonides_by_Abraham_Ostrzega


[1] Le judaïsme n’a soumis aucun peuple chrétien et ne possède pas de système analogue à jihad-dhimmitude.

[2] Voir : Bat Ye’or, Juifs et Chrétiens sous l’Islam, Berg International, Paris 1994, Chap. IX.

[Note DW :] En 1962, Au sein d’un réseau nazi installé au Caire, Léopold Gleim et Ludwig Heiden ont publié un ouvrage « complot contre l’église », accusant le pape et le Cardinal Bea d’être à la solde des Juifs et des Francs maçons, ce qui nuisit à la réconciliation de l’Église avec les Juifs, initiée par le Pape Jean XXIII. Voir Léon Poliakov, De Moscou à Beyrouth Essai sur la désinformation, Calmann Lévy, Paris 1983 ; Anne Vidalie : 1945, Le Caire et Damas, nids de nazis, L’Express,10/8/2015.

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